Ce projet de recherches collective est centré autour de sources complexes et riches : les plaidoyers judiciaires. Dans les pays européens qui ont appliqué une procédure écrite se référant au droit romain, ces écrits étaient utilisés par les plaideurs sous différents noms et formes : porcones dans la couronne de Castille, stampe puis allegationes à Venise, factums dans le royaume de France, Deduktionen dans l’Empire germanique … Cette liste n’est pas exhaustive.
Avec ces documents, l’équipe inscrit dans son champ de recherche l’idée que depuis la fin du Moyen Age, une action de justice requiert une autre action, qui est celle de la rédaction et la mise en circulation d’écritures judiciaires, dans le tribunal et en dehors de celui-ci.
Ce sont donc les usages sociaux de ces textes qui nous intéressent. Pour en rendre compte, leurs compositions topiques et procédés rhétoriques (récits, procédés d’argumentation juridique, making off de lieux communs ensuite diffusés) nous intéressent, de même que leur action procédurale (au civil, au criminel) et leurs manières de se référer et de convoquer un public.
Ainsi, les auteurs, leurs commanditaires et leurs destinataires, c’est à dire les acteurs sont au centre de notre attention, qu’ils aient été professionnels du monde judiciaire ou membres de la société, les uns ou les autres ayant tous impulsé des instances « aux personnes » ou « aux biens ». Quelques aient été les justiciables, des particuliers ou des personnes morales, telles que les corporations, les universités …. leur ambition était de défendre des intérêts dont la portée sociale et politique doit être restituée. Les justiciables défendaient et revendiquaient par écrit en invoquant des normes sociales mais aussi des références au droit qu’ils voulaient infléchir, par la jurisprudence.
L’action judiciaire est attributive : au criminel, elle poursuit des accusé.e.s qui pouvaient aussi émettre de façon dite extraordinaire, des plaidoyers et des discours de justification, afin de contribuer à leur défense en mettant leur affaire sur la place publique. L’action judiciaire est également rétributive et susbsidiaire , en précisant des catégories d’appartenances des sujets par leurs droits et leurs biens, en un découpage toujours plus précis qui redessine le corps social, l’amenant à se référer à l’idée qu’il se réunit dans une société civile donnée. Ces modes d’attribution judiciaire contribuent aussi à remanier de façon pratique les catégories considérées comme de nature, par exemple, les hommes et des femmes, en modifiant les interprétations données au droit grâce aux arguments des écrits judiciaires de façon à finalement transformer les régimes de genre. Les contextes de leur émergence permettent de préciser leurs contenus.
Ces écritures ont connu à partir des XVe-XVIe siècles une extension importante en Europe, puis dans les territoires colonisés, par exemple, dans les Caraïbes, les Amériques et sans doute, l’Afrique du Nord, en raison de l’importation des dispositifs judiciaires dans ces contrées soumises à des affrontements entre colonisateurs ou de marchands (compagnies ou individus) sur les océans, se disputant par exemple les zones d’influence de leur commerce.
Telles sont, succinctement décrites, les directions de travail de ce projet qui repose sur l’identification et l’exploitation de sources, inégalement en voie de numérisation et qui comprend des chercheurs débutant.e.s ou confirmé.e.s venus de la littérature, de l’histoire du droit et de l’histoire.